Voilà plusieurs semaines que je réfléchis à l’idée d’un ouvrage sur la 3DO, ce standard / console qui n’a pas marché, mais qui me semble une clé de lecture d’un moment de l’histoire du jeu vidéo ouvrant potentiellement de multiples pistes d’analyse.
À la suite de plusieurs événements, en particulier l’écoute de la première séance du séminaire de Pierre-Yves Hurel et de Yannick Rochat sur les platform studies (Input, Poke and Save – venez, c’est top !), j’ai eu envie de formaliser rapidement le projet qui me taraude.
Ce projet s’inscrit dans l’ambition de la collection de livres du MIT, « Platform studies ». La 3DO, standard technique dont les premiers modèles de consoles sont sortis en 1993, fut un échec commercial retentissant, que l’histoire canonique du jeu vidéo cantonne aux notes de bas de page avant d’encenser l’émergence de la PlayStation de Sony. L’objectif du projet serait de rendre compte selon différents points de vue des enjeux de cette plateforme : comment elle a misé sur un support émergent, le CD-Rom, qui permettait de stocker énormément de données pour l’époque ; comment elle a raté en partie le train de la 3D non précalculée ; comment elle a voulu à un moment incarner une forme de cinéma interactif grâce à des caractéristiques techniques misant sur la décompression de séquences filmées (jeux de différents genres en Full Motion Vidéo) ; comment son modèle commercial était dès le départ problématique, séparant producteurs du hardware, producteurs de logiciels et propriétaires du standard ; enfin, comment l’absence de jeux exclusifs porte-drapeaux et d’une ludothèque développée a précipité sa chute. L’arrêt de la production a lieu en 1996 et la communauté autour de la machine n’a jamais été très puissante. Pourtant, cet échec est très révélateur du fonctionnement du champ de production de jeux vidéo au milieu des années 1990 et son étude permettrait sans doute d’éclairer d’autres moments de l’histoire de ce média.
Cette étude sera aussi l’occasion de remotiver l’usage de la notion de « génération » de consoles. Celle-ci est abondamment critiquée1, à juste titre (je ne suis pas le dernier à le faire dans mon cours) : elle est plus un héritage du discours industriel vantant les mérites de la « next gen » plutôt qu’un outil historiographique pertinent. Néanmoins, si on prend ce concept de génération au sérieux, qu’on se réfère à une définition sociologique de la génération, à savoir l’idée qu’une génération partage une série d’événements propres à un champ, vécus comme formateur par les agents de ce champ, définissant chez eux une certaine identité, et qu’on adapte ce concept à l’idée de plateforme, on doit s’interroger sur les défis qui se profilaient quelques mois avant le lancement de la 3DO et mettre en série les différentes plateformes qui ont répondu à ces défis en synchronie (Amiga CD32, Atari Jaguar, 3DO, MegaCD, 32X, le tout sous la pression de l’apparition et de la promotion massive du CD-Rom comme support au service du jeu vidéo sur PC, puis quelques mois / une année après, PlayStation, Saturn, et Nintendo 64) pour comprendre les enjeux de la création du standard de la 3DO. C’est donc à une étude de l’histoire comparée d’une génération de plateformes que je souhaiterais m’atteler.
D’un point de vue méthodologique, je voudrais prolonger le dépouillement de la presse jeu vidéo francophone commencé avec Ludopresse et l’étendre à la presse anglophone. Ce premier corpus sera analysé tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, grâce à l’aide de logiciels d’analyse textuelle et à la numérisation des magazines vidéoludiques. Un deuxième terrain d’enquête sera constitué par les communautés de soutien contemporain à la machine : des entretiens avec leurs animateurs principaux seront prévus. Un troisième terrain serait l’étude systématique de la ludothèque du standard. Enfin, grâce à un partenariat avec l’U. de Tokyo que je voudrais mettre en place, un volet d’étude de la presse japonaise permettra d’éclairer la réception au Japon, pays qui a réservé un accueil particulier à cette console.
- Voir notamment l’article de Carl Therrien et Martin Picard, « Enter the bit wars: A study of video game marketing and platform crafting in the wake of the TurboGrafx-16 launch », New Media and Society, 2015, https://doi.org/10.1177/1461444815584333 [↩]