Soutien aux étudiants grévistes québécois

Voici un texte que j’ai écrit mardi 29 dans la journée. L’objectif était de le faire paraître comme carte blanche dans un journal national, en le signant avec J.-P. Bertrand et Min Reuchamps au nom du Centre d’études québécoises de l’ULg. Au vu des développements d’hier, je ne sais pas s’il paraîtra finalement. Je le dépose ici comme trace de l’événement, vu de Belgique. Il s’agit de la première version non retravaillée, non celle qui a été soumise au Soir hier.

Le Québec connaît depuis plus de cent jours une grève de nombreux étudiants des collèges et des universités, rejoints par une frange importante de leurs professeurs. Des mesures exceptionnelles ont été votées par un gouvernement incapable de dialoguer avec les étudiants (jusqu’au 28 mai, le Premier Ministre n’avait rencontré aucun des représentants des étudiants contestataires). Comment en est-on arrivé là ? Comment la Belle Province, terre de la « révolution tranquille », a-t-elle vu fleurir son « printemps érable » ?

La première mobilisation a eu lieu en réaction à la hausse de 75 % des frais de scolarité décidée par le gouvernement du Parti Libéral du Québec. Au pouvoir depuis 9 ans, décrédibilisé par une série de scandales financiers et d’affaires de corruption, le PLQ a voulu traiter cette crise sur le mode du paternalisme autoritaire. Son dernier mouvement, la loi 78, que certains juristes considèrent comme une atteinte aux libertés fondamentales, en est l’exemple le plus frappant : à la place de rencontrer les porte-parole étudiants pour dialoguer, le gouvernement a choisi de faire voter une loi leur déniant le droit de grève en restreignant les droits de toute la population à la manifestation. Comme l’écrit le philosophe Michel Seymour, « il y a quelque chose de paradoxal dans la loi 78. Celle-ci traite les représentants des associations étudiantes comme des chefs syndicaux et leur impute la responsabilité pour les gestes posés par leurs membres, mais elle ne leur reconnaît pas le droit de grève. Les associations étudiantes ont beaucoup d’obligations mais pas beaucoup de droits. En leur niant le droit de grève, le gouvernement commet un outrage à la démocratie étudiante. »

Le gouvernement semble en outre incapable de comprendre le mode d’organisation que les étudiants se sont choisis, fondé sur la démocratie directe et les porte-parole et non sur des représentants élus. Plus largement, le gouvernement est incapable de répondre aux aspirations des étudiants. S’opposent deux modèles de société, où la place de l’éducation n’est pas équivalente. L’augmentation des frais de scolarité n’est en effet pas qu’un élément anecdotique, refusé par quelques rêveurs utopistes. Cette augmentation découle d’une volonté néolibérale d’alignement du Québec sur le reste de l’Amérique du Nord, où ces frais peuvent atteindre 40000 $ par an. Dans ce modèle néolibéral, les étudiants sont obligés de s’endetter pour décrocher le diplôme qui leur permettra d’obtenir un emploi pour rembourser ce prêt. Dans ce modèle néolibéral, ce ne sont pas les savoirs et savoir-faire acquis dans l’enseignement supérieur qui sont au centre de la société en vue de l’orienter au profit de ses citoyens ; dans ce modèle néolibéral, c’est l’argent qui régit la société. Or ce modèle néolibéral a montré ses limites. Et le modèle québécois né de la Révolution tranquille a pour sa part montré ses forces. Les Québécois bénéficient ainsi, entre autres, du plus haut salaire minimum en Amérique du Nord (après la Colombie Britannique), de garderies d’enfants à 7 dollars par jour, d’un programme évolué de congés parentaux (maternité et paternité), d’un système de santé universellement accessible, de prestations d’aide sociale, d’un programme d’équité salariale homme femme et d’un système bancaire fondé pour moitié sur le principe des coopératives. Ce système est fondé sur la solidarité du peuple québécois. C’est cela que les étudiants rappellent chaque jour par leurs manifestations. C’est cela que le gouvernement travaille patiemment à détricoter, sous couvert de responsabilisation des jeunes générations.

La réaction du gouvernement au soulèvement étudiant démontre une profonde incompréhension des enjeux de l’enseignement. Comment est-il même envisageable de contraindre des enseignants à donner leurs cours ? Il y a quelque chose d’absurde à vouloir forcer les professeurs à enseigner. C’est pourtant ce que différents recteurs d’universités et de cégeps ont choisi de mettre en place : engagement de vigiles pour patrouiller dans les couloirs et forcer les enseignants et les étudiants à rentrer dans les classes, contrôle systématiques des cartes d’étudiants, injonction des professeurs à enseigner sous peine de poursuites pouvant mener à un an de prison et 50000$ d’amende… Cette imposition de la Terreur dans les collèges et universités en dit long sur la valeur qu’accorde ce gouvernement à l’enseignement. Rarement la classe dirigeante québécoise aura montré autant de mépris pour une catégorie sociale. Il faut remonter loin dans l’histoire pour en trouver des échos.

La résistance se poursuit, cependant. Et l’imagination la soutient. Aux cales-portes rouges des étudiants de la Faculté d’architecture de l’Université de Montréal en mars, destinés à laisser symboliquement les portes de l’université ouverte, ont succédé les concerts vespéraux de casseroles. De nombreuses actions artistiques et différentes performances ont soutenu le mouvement étudiant : citons les recherches graphiques de l’École de la Montagne rouge, les étudiants de théâtre de l’UQÀM et leur « ligne rouge dans le métro », ou encore les plus classiques universités populaires éphémères dans toute la province. Autant d’initiatives qui soulignent combien l’équivalence « manifestant = casseur », portée par une certaine presse, est fallacieuse.

Notre obligation, à nous Québécois de cœur, est de donner une visibilité internationale à cette crise, qui porte une lumière crue sur l’évolution de l’enseignement supérieur ces dernières années. Montrons le courage de ces étudiants et professeurs et soulignons l’importance de l’accès à l’enseignement. Le Québec n’est pas seul : ni comme force de résistance, ni comme cible potentielle.

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