Anthologie de textes sur l’histoire de la littérature belge

Après une révision d’article pour Mémoires du livre et divers examens / délibérations, il est temps de se replonger dans la littérature belge. Article pour le colloque Destrée et anthologie de textes, avec François, pour une nouvelle collection à venir, la Bi2S, soit la « Bibliothèque idéale des sciences sociales », lancée et coordonnée par Pierre Mercklé. Nous nous occuperons de la section « Littérature et sciences sociales » avec Anthony Glinoer. C’est dans cette section que devrait sortir à l’automne L’historiographie littéraire belge. Une anthologie. Les textes de présentation de ces différents projets suivent (le premier est de Pierre, le second d’Anthony et moi, le troisième de François principalement).

La Bi2S

Avec la Bibliothèque idéale des sciences sociales (Bi2S), Liens Socio, l’ENS de Lyon, OpenEdition et les Editions du Croquant s’engagent dans le développement d’un projet ambitieux de réédition grands ouvrages classiques en sciences sociales.

Cette collection, animée par une équipe rédactionnelle et technique de l’ENS de Lyon et d’OpenEdition, est dotée d’une véritable politique éditoriale (choix des œuvres, des éditions, du calendrier de traitement…), définie par un conseil scientifique constitué d’une dizaine de spécialistes des différentes disciplines des sciences sociales : à partir de la barrière mobile fixée par la loi définissant le domaine public, il s’agit de mener une politique scientifique coordonnée de recensement des œuvres devant être numérisées, à la fois en remontant dans le temps à partir de cette barrière mobile, et en anticipant les œuvres qui tomberont dans le domaine public dans les années suivantes, de façon à pouvoir les mettre à la disposition du public aussitôt leur entrée dans le domaine public.

La Bibliothèque idéale des sciences sociales a également vocation à accueillir en son sein des rééditions de classiques et d’ouvrages importants mais plus récents, devenus introuvables ou difficilement accessibles, et dont les auteurs acceptent de nous confier les droits. Parmi les premiers titres de la collection, on trouvera ainsi des œuvres qui ont moins d’une trentaine d’années mais qui sont déjà des classiques, comme Le temps donné aux tableaux (1991), de Jean-Claude Passeron et Emmanuel Pedler, ou L’imaginaire de Marseille (1990), de Marcel Roncayolo.

Tous les titres de la Bibliothèque idéale seront consultables en accès libre et gratuit sur le site de la collection, hébergé par Revues.org. Ils seront tous également disponibles dans des formats portables (PDF, ePub) payants, ou disponibles dans le cadre des abonnements des bibliothèques au programme Freemium d’OpenEdition. Enfin, certains de ces titres, en fonction des choix du conseil scientifique et des droits obtenus, seront également disponibles en version imprimée aux Editions du Croquant.

Parmi les premiers titres de la Bibliothèque idéale des sciences sociales : Clément Juglar, Des Crises commerciales et de leur retour périodique (1862) ; Paul Vidal de la Blache, Principes de géographie humaine (1922) ; Jean-Claude Passeron et Emmanuel Pedler, Le Temps donné aux tableaux (1991) ; Edward Sapir, Anthropologie (1967) ; Pierre Duhem, La théorie physique (1906) ; Jean-Marie Guyau, L’art au point de vue sociologique (1887) ; Charles Victor Langlois et Charles Seignobos, Introduction aux études historiques (1898) ; Elisée Reclus, L’Homme et la Terre (1905-1908) ; Marcel Roncayolo, L’imaginaire de Marseille (1990)…

La section « Littérature et sciences sociales »

Cette série vise tout d’abord à étudier les liens que les études littéraires entretiennent avec une science sociale en particulier, par exemple la sociologie, l’économie ou la statistique. Y prendront place des livres classiques mais difficilement accessibles qui ont abordé la littérature par la voie des sciences sociales. Y seront aussi proposées des anthologies d’articles ou d’extraits de livres classiques ou difficilement accessibles, qui interrogent l’usage d’une science sociale en particulier dans les études littéraires. La littérature est ici entendue dans son sens le plus large, comme corpus de textes à portée littéraire produits et reçus, sans délimitation chronologique, géographique ou axiologique. Chaque anthologie sera précédée d’une introduction substantielle, qui pose les principaux enjeux de la rencontre de la discipline envisagée et du domaine littéraire, dresse un historique de cette rencontre et justifie les textes choisis.

La série repose aussi sur une seconde logique, complémentaire de la première, qui s’impose lorsque l’on réfléchit non plus à partir d’une science sociale pour envisager son apport à l’étude du fait littéraire, mais inversement à partir d’une littérature particulière pour interroger les différents savoirs qu’elle convoque. L’historiographie des littératures laisse apparaître en effet des emprunts aux sciences humaines et sociales, que la série visera à mieux mettre en lumière. Seront proposées des anthologies de textes dont chacune sera précédée d’une introduction substantielle, qui posera les principaux enjeux et justifiera les textes choisis. La démarche consiste à dépasser le cadre de la littérature concernée et de pointer, au fil des volumes, les manières dont les sciences sociales ont contribué à la mise en récit de la littérature.

Une liste des publications suivra sur ce carnet, quand les choses auront mieux avancé.

L’historiographie littéraire belge. Une anthologie

Le genre de l’anthologie est d’ordinaire lié aux textes de création littéraire. Associée à la transmission scolaire du patrimoine culturel, l’anthologie propose des « morceaux choisis » dans un corpus d’œuvres (romans, poèmes, textes dramatiques), censés représenter les principales caractéristiques dudit corpus, selon des critères variables (géographiques, génériques, historiques, etc.).

Le présent ouvrage ne relève pas de cette catégorie d’anthologies, puisqu’il compile, non pas des textes de création littéraire, mais bien des discours visant à la construction d’un savoir historique sur ces textes de création. Pourquoi envisager la mise en série de tels discours, qui peuvent a priori paraître redondants ?

D’abord parce qu’il s’agit précisément de discours, et non de savoirs bruts simplement répétés au fil des générations d’historiens de la littérature. La « vérité historique » sur une littérature est toujours construite selon des modalités particulières, qui finissent par composer une véritable archive, au sens donné à ce terme par Michel Foucault. L’un des buts de cette anthologie est de restituer l’épaisseur de cette archive, de rendre compte de la multiplicité des couches discursives successives qui la composent. Celles-ci représentent les états ponctuels d’une réflexion dont il nous importe de reconstituer le continuum, contre les impressions de « nouveaux départs » ex nihilo.

Cette démarche méta-historiographique, qui est aussi une réflexion sur les modalités de constitution des canons littéraires, est aujourd’hui couramment pratiquée à propos des littératures anglo-saxonnes et même à propos de la littérature française. Elle nous apparaît d’autant plus nécessaire et pertinente dans le cas de la littérature belge. En effet, dès les premières traces d’un discours porté sur la littérature en Belgique, on relève le souci d’interroger et de justifier les grands cadres historiographiques qui vont structurer le discours sur les œuvres. De Théodore Weustenraad à la génération actuelle des historiens de la littérature, c’est un incessant va-et-vient, non seulement entre les deux fameuses étiquettes générales qui situent la production tantôt dans l’orbe de la littérature française, tantôt dans les frontières de la Belgique, mais aussi entre plusieurs options géographiques, terminologiques, chronologiques et axiologiques qui conditionnent l’appréhension du corpus.

Outre cette étonnante diversité en diachronie, l’historiographie littéraire belge – au même titre que les autres historiographies francophones périphériques – présente l’intérêt d’être soumise aux contraintes énonciatives d’une tradition bien stabilisée et toute proche : l’histoire littéraire « à la française ». Les cadres d’intelligibilité qui ont organisé le savoir sur la littérature française s’imposent « naturellement » à l’historien belge comme la bonne manière de parler de littérature. En effet, la France littéraire a, de longue date, imposé un ordre symbolique puissant construit autour de l’idée même de Littérature. Toute mise en récit périphérique doit forcément prendre position par rapport à cet ordre symbolique dominant, et éventuellement proposer une conception rivale de la pratique littéraire, sur les plans idéologique, esthétique et plus strictement historiographique : la pratique littéraire est-elle autonome par rapport aux autres champs sociaux ? cette littérature participe-t-elle au même type de « modernité » que sa voisine ? l’appréhension individualisée du personnel littéraire, l’étalement de la production étudiée sur une longue durée chronologique, le découpage par siècles sont-ils les meilleures procédés pour comprendre la littérature belge dans son historicité ? Voilà les questionnements auxquels sont confrontés, implicitement ou explicitement, les historiens de la littérature belge lorsqu’ils prennent la mesure de l’héritage que fait peser sur eux le figement encyclopédique des connaissances sur la littérature française.

En essayant de refléter les inflexions qu’ont connues ces divers questionnements, la présente anthologie entend s’inscrire dans la continuité du travail de Stefan Gross et Johannes Thomas, qui avaient mis à la disposition des chercheurs une importante documentation sur « les concepts nationaux de la littérature » en Belgique1. Notre perspective sera cependant ici plus sélective, puisque centrée uniquement sur les programmes historiographiques, et comblant les quelques trente années qui nous séparent désormais du terminus ad quem adopté par les deux compilateurs allemands.

Il nous a semblé que privilégier une certaine cohérence dans la visée des textes choisis – quitte à renoncer forcément à l’exhaustivité – pouvait mieux faire ressortir les intérêts comparatistes et heuristiques d’une telle anthologie métalittéraire. Nous avons ainsi sélectionné ce que l’on propose d’appeler des « protocoles historiographiques », c’est-à-dire non pas des (morceaux de) discours historiques sur la littérature belge, mais des hypothèses de travail justifiant ou ébauchant une certaine conception de l’histoire littéraire appliquée au cas belge. Les protocoles retenus prennent génériquement la forme de l’article programmatique, genre qui se décline historiquement en différentes variantes, qui vont de la conférence pour le discours de Potvin (1870) à l’introduction d’un ouvrage collectif signée par De Geest et Meylaerts (2004) ou Aron et Denis (2006). Entre ces deux occurrences, on trouve les chapitres premiers de Nautet (1891) et Hamélius (1921), l’introduction à l’esquisse historique de Charlier (1938), les discours académiques de Hanse (1964) et Piron (1968), les articles scientifiques de Klinkenberg (1981) et Lambert (1983), l’intervention théorique de Quaghebeur (1980), et le préalable méthodologique de Biron (1994).

Chacun des extraits retenus, d’une longueur variant entre 15000 et 45000 signes environ, fait l’objet d’une brève notice sur son/ses auteur/s. L’anthologie propose en outre une introduction substantielle (65000 signes environ), qui explicite les présupposés et les objectifs de la démarche, donne une large description du corpus et développe quelques hypothèses de lecture transversale, quant aux rhétoriques historiographiques et quant aux types d’expérimentions théoriques dont la littérature belge a pu faire l’objet, par le biais du discours historique porté à son endroit.

La présentation des textes suit un ordre chronologique, mais propose des regroupements en quatre grandes périodes, correspondant à quatre modes d’expérimentation dont le laboratoire théorique de l’histoire littéraire belge fut le lieu : construire l’histoire, inscrire la langue, vivre la société, penser les concepts. Chacune de ces expérimentations produit des « précipités notionnels », plus ou moins formalisés et explicités, qui servent à identifier chacun des textes rassemblés.

Une table des matières suivra sur ce carnet, quand on y verra plus clair concernant les accords de reproduction des textes…

  1. Gross (Stefan) et Thomas (Johannes), Les concepts nationaux de la littérature : l’exemple de la Belgique francophone ; une documentation en deux tomes, tome 2 : 1880-1980, Aachen, Alano Rader Publikationen, 1989. []

Les commentaires sont fermés.